Ces yeux bleus qui ont vu toutes les mers du monde et qui vous fixent avec toute l'attention aiguisée par les milliers d'heures à scruter l'horizon

Isabelle Autissier, vous arrive-t-il de naviguer en Méditerranée ?

Pas depuis dix ans, mon terrain de jeu comme vous le savez, est plutôt l’antarctique...

La liberté de naviguer, de mouiller et d'accès au littoral est actuellement menacée. Il se généralise sur nos côtes une interdiction totale de navigation dans la bande des 300 mètres qu'en pensez-vous ?

Ne connaissant pas très exactement la situation au Cap d'Agde et en Méditerranée, il m’est difficile de me prononcer. Effectivement, il y a de plus en plus d’usagers de la mer et donc il y a de plus en plus de conflits d’espace, il faut que cela se règle par la concertation.

Le thon devient de plus en plus rare en méditerranée, êtes-vous pour l'interdiction de sa pêche ?

Je suis pour l’interdiction de la pêche industrielle, par contre pour ceux qui font de très faibles prélèvements, il faut regarder cela au cas par cas.

Comment faire appliquer cette interdiction ?

On met des forces de police maritime. On surveille par des moyens aéronautiques les zones de pêche qui sont identifiées. On surveille les réseaux et la commercialisation mais là, c’est plus compliqué quand les produits de la pêche sont déversés dans des nurseries qui se trouvent en dehors des eaux européennes.

Cette surveillance est-t-elle difficile en raison de l’étendue de la mer ?

Non, je pense qu’en Méditerranée, c’est possible car les pêcheurs se trouvent où il y a les bancs de thons et les gros bateaux sont vite repérés par les petits avions. Avec l’appui des scientifiques, on peut afficher un certain optimisme sur ces mesures. Il faut cependant que l’union européenne y mette les moyens nécessaires. Il faut aussi des “relais citoyens” pour accentuer la pression sur les pouvoirs publics.

Quel est votre avis sur les élevages de poissons ?

Un poisson sur deux que l’on mange, est un poisson d’élevage. Nous avons tellement mal géré nos pêcheries sauvages, que nous avons eu un écroulement des espèces. On travaille actuellement à la rédaction d’un cahier des charges pour une aquaculture responsable.

Les élevages d’aujourd’hui ont deux grosses conséquences très néfastes, la première sont les excès de nourriture qui se déposent dans les fonds marins et absorbent l’oxygène de l’eau, ce qui a pour conséquence la création de zone sans vie, la deuxième est la diffusion d’antibiotiques en grande quantité ce qui affecte sérieusement l’écosystème.

On peut aussi envisager des mutations génétiques avec les croisements de poissons d’élevage qui se seront échappés.

Est-ce une reconversion d'avenir pour le milieu de la pêche ?

Si on continue à faire n’importe quoi avec la pêche sauvage, Il faut une certaine dose d’élevage mais pas n’importe comment, car la situation pourrait empirer.

Allons-nous vers une certaine extermination des poissons ?

Oui pour des espèces à longue espérance de vie qui se reproduisent très tard, beaucoup moins vrai pour des espèces qui se reproduisent très vite comme la sardine par exemple.

Si on fait quelques efforts pour mieux gérer certaines espèces, on peut retrouver à terme des niveaux de captures à peu prêt corrects. On ne peut pas cependant généraliser mais agir au cas par cas.

Les plaisanciers selon vous sont ils respectueux de l'environnement ?

Là aussi, il ne faut pas généraliser, y en a qui le sont d’autres pas mais c’est surtout par méconnaissance. Il y a beaucoup d’éducation possible comme sur les déchets par dessus bord par exemple. Les associations de plaisanciers ont un rôle à jouer. Il faut diffuser largement la charte du plaisancier qui existe. Des efforts doivent être faits auprès des plaisanciers occasionnels.

Qui pollue le plus ?

Quatre vingts pourcents de la pollution des océans vient de la terre via l’eau et l’air. Cette pollution découle des comportements terrestres à travers les stations d’épuration des villes, l’industrie et énormément l’agriculture.

Après, il y a les marées noires, les dégazages en mer. Les réglementations ont été durcies ces derniers temps, les surveillances accrues et depuis la catastrophe du Prestige en novembre 2002, on peut constater que les choses se sont bien améliorées. Il faut poursuivre tous ces efforts.

Le fait que les mers soient tapissées de plastiques, provient essentiellement de la terre. Sur l’agriculture et la gestion des déchets il y a d’énormes progrès à faire.

Merci Isabelle Autissier pour votre active participation à la préservation de l'environnement maritime et bonne navigation dans l'antarctique.

Isabelle Autissier

1956 Naissance à Paris.

1978 Diplôme d'ingénieur agronome.

1990-1991 Première course en solitaire autour du monde.

1996 Rendez-vous avec la mer (Solar).

1998-1999 Dernier tour du monde en solitaire.

2006 Kerguelen, le voyage au pays de l'ombre (Grasset).

2009 Premier roman, Seule la mer s'en souviendra (Grasset).

Depuis décembre 2009 Présidente de WWF France.